Béatrice Lalinon Gbado souligne les valeurs et traditions africaines face au COVID-19.
Le doute né des premières informations confuses sur les réseaux sociaux a été levé par des images de victimes et de cercueils alignés qui nous parvenaient. Le COVID-19 existe et on en meure. Si les pays qui ont un système sanitaire de haut niveau n’assurent pas, qu’en sera-t-il de l’Afrique ? La peur se propage encore plus vite que le virus. La peur de l’inconnue et de la solitude est plus cultivée et exacerbée que l’information saine et constructive. Le stress est omniprésent. Certains sont bloqués par l’agitation et la démesure ; le COVID-19, ils ne veulent pas en entendre parler.
Comment introduire la distanciation physique que nous impose le virus dans nos habitudes faites de proximité, de convivialités, de collectivités ? Se parler derrière les masques, célébrer nos mariages, enterrer nos morts … vivre des événements marquants de nos vies à 50, à 10, seules et seuls. Travailler à distance, arrêter de vivre … comme avant. Les codes de survie au COVID-19 véhiculent des aberrations sociales ; imposent presque de nouvelles normes sociales. C’est la première difficulté au changement de comportement observée.
L’autre difficulté vient du fait que le changement de comportements attendu pose un dilemme écrasant pour le plus grand nombre. Qui va porter le poids financier de la pandémie ? Pas de solutions à cette équation sociale, pas de réponse claire à cette question, ce qui induit une tension observable à tous les niveaux : individuels, interpersonnels, positionnels ou idéologiques. En l’absence d’alternatives, les couches vulnérables maintiennent leurs activités ; et leur mobilisation pour la survie risque d’être un vecteur de propagation du virus. Le COVID-19 accentue les inégalités et élargit le champ d’impact de la précarité. A l’horizon, on redoute des licenciements … Les risques psychosociaux liés au travail sont bien réels.
Le Bénin est un peuple de croyants ; la décision de fermer les lieux de culte n’a pas été simple et facilement acceptée par tous. A la pratique, la relation à une transcendance s’est trouvée renforcée ; la dimension spirituelle de la vie a pris du relief ; malgré l’interdiction des rassemblements. De sorte que si l’on peut dire que les citoyens ont un plan de riposte, le resserrement du lien social et le renforcement du sentiment d’appartenance est en tête de liste. Cette prise en charge mentale diminue le nombre de personnes isolées ; un atout majeur contre la solitude qui tue aussi sûrement que le coronavirus ; c’est dans l’union que les fourmis arrivent à traverser la rivière.
Pour avancer, des souhaits sont formulés spontanément pour qu’une équipe d’experts nous propose des solutions qui nous ressemblent ; applicables dans les conditions de nos contrées les plus reculées. Ailleurs on utilise une association d’antibiotique, de zinc et de chloroquine ... Sommes-nous tenus de faire rigoureusement pareil ? Peut-être qu’à y voir de près, une tisane de feuilles ou de racines de neem (azadirachta Indica), de tchiao (ocimum gratissimum), de Gninsikin (moghania faginea sanfito momordica charancia), ou de Ahissihissi-Késou Késou (ocimum basilicum Basilic) pourrait bien faire l’affaire. La société savante de chez nous a-t-elle été mobilisée par le gouvernement ?
La visibilité d’une communauté scientifique – symbole de notre intelligence collective qui travaille, communique ses doutes et ses certitudes, répond aux questions – et qui incarne la fierté nationale, notre système de valeurs, notre savoir-faire endogène et moderne ; fait partie des moyens de croissance collective en temps de crise. C’est une question d’estime de soi, individuelle ; mais aussi une collective estime de soi. C’est aussi une question de présence fructueuse aux autres peuples, d’apport de notre contribution, d’une solidarité agissante contre la pandémie.
L’absence, le silence, et les rumeurs folles générées par le COVID-19 révèlent une mémoire individuelle ou collective qui a gardé traces du passé douloureux. Des blessures anciennes se réveillent et donnent une disproportion aux réactions. « Se taire et se retrouver à nouveau cobayes, sujets, esclaves … ?» Les angoisses fortes actuelles sont aussi une expression de ces blessures individuelles et collectives, et parmi elles, la représentation sociale du peuple : l’image d’une Afrique à genoux sur son potentiel, la main tendue, pendant que ses enfants se ruent en mer, évoque les bateaux négriers.
Quand Ahluikponoua, princesse de la cour royale d’Abomey a commandé une boisson et qu’on lui a ramené une bouteille de boisson importée, elle s’est exclamée « Quand donc allons-nous préparer nos boissons à nous et en vendre aux autres ? » Ce temps de méditation mondiale est propice à une méditation sur la confiance que faisons à nous-mêmes. En famille, face aux générations montantes. Aux plans national et international. Que faisons-nous du potentiel de nos personnes, de nos peuples ? Il est temps que l’actualisation du génie créateur des uns et des unes, des autres, et de tous, soit le fouet de notre développement national et du développement de l’humanité.
Le COVID-19, c’est graduellement que la population l’appréhende et les conclusions sont à tirer sur le long terme. Néanmoins, on peut déjà noter que cette pandémie nous rappelle notre appartenance à une même humanité ; il n’y a qu’une race humaine qui aujourd’hui est en guerre contre un ennemi invisible et inconnu. Elle nous invite aussi à mûrir les questions de sécurité sociale.
Elle nous offre une occasion de nous intérioriser, de redécouvrir les bienfaits du lien social et le soutien social comme un bouclier ou un rempart à nos vulnérabilités individuelles et collectives. Pour avoir goûté au bonheur de méditer, de prendre du temps en famille, de ralentir notre rythme sans que le ciel ne nous tombe dessus ; puissions-nous garder de cette crise notre capacité à rechercher l’essentiel et à laisser place à notre humanité.
Continuerons-nous à courir avec frénésie sous pressions ou allons-nous reprendre le contrôle de nos vies ? Aérer nos emplois du temps pour le respect du corps et de l’environnement, laisser vivre notre être en ses aspirations profondes, trouver en nous une base solide d’appui, trouver le sens de notre vie, retrouver le sens de la vie.
Béninoise, écrivaine et Fondatrice des Editions Ruisseaux d'Afrique, Béatrice LALINON GBADO est psychologue sociale de formation.