La double peine des travailleurs migrants en temps de coronavirus en Afrique de l’Ouest

Le Béninois Elieth Eyebiyi décrit les effets de la pandémie de Covid 19 sur les migrants et leur pays d'origine.

Einreiseunterlagen Benin

Image: of FES Benin Les virements des migrants sont une ressource importante pour leurs familles et leurs villages d'origine.

La crise sanitaire de la maladie à coronavirus (Covid-19) qui a démarré en Chine fin 2019 puis rapidement gagné toute la planète ne manque pas de répercussions sur les plus vulnérables. Les annonces d’une hécatombe en Afrique, notamment par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), tardent à se réaliser – et manifestement celle-ci a peu de chances de survenir-, en contraste avec les difficultés et l’inexpérience des systèmes de santé occidentaux à gérer une pandémie qui a fait au 10 mai 2020, 282 733 morts dans le monde, dont 0,8% en Afrique (2 268 décès). Toutefois, si l’Afrique compte très peu de décès, les conséquences à court, moyen et long-terme de cette crise sanitaire impacteront tous les domaines.

Dans le champ des mobilités et des migrations de travail, la crise affectera profondément les travailleurs migrants relevant notamment des secteurs primaires et des services. Ces catégories de travailleurs sont sujettes à une double peine. D’une part, le tarissement de leurs ressources en raison des limitations de déplacement imposées dans la plupart des pays, renforce leur vulnérabilité. D’autre part, l’amenuisement de leurs capacités d’opérer des transferts monétaires et sociaux qui amélioraient jusque-là le bien-être de leurs communautés, affaiblit la résilience dans leurs contrées d’origine.

La restriction des mobilités fait partie des principales mesures publiques prises pour arrêter la propagation du coronavirus. Son premier acte a été la fermeture des frontières, des débits de boissons, restaurants, lieux de spectacles, transports en commun de personnes, et parfois des marchés, en somme l’essentiel des activités du secteur informel dans lesquelles opèrent les travailleurs migrants en Afrique de l’Ouest. Recourant à une main-d’œuvre saisonnière des pays limitrophes - agriculteurs du Bénin et du Niger employés dans les champs au Nigeria, pêcheurs du Bénin opérant au Nigéria, ouvriers du Burkina-Faso intervenant dans l’économie cacaoyère au Ghana et en Côte d’Ivoire - l’agriculture et la pêche ne seront pas moins impactées, tout comme les activités minières (Sénégal, Guinée, Burkina-Faso, Mali).

Le second acte qui a acté l’enfermement de facto des populations, à travers le confinement plus ou moins strict, avec couvre-feu (Sénégal, Niger, Togo, Burkina-Faso, etc.) ou non, ou la mise en place d’un « cordon sanitaire » (Bénin), a contribué à tarir la demande en services fournis par les travailleurs migrants et ralenti l’économie quotidienne. En paralysant l’offre et la demande, cette restriction à double entrée des mobilités a grevé les sources de revenus des plus pauvres et affecté ainsi les ressources des travailleurs migrants et d’autres catégories subalternes de l’économie, généralement dépourvus de toute protection sociale et tributaires des recettes quotidiennes générées par des activités précaires qui s‘estompent en temps de crise.

La baisse drastique des ressources des travailleurs migrants contribue à dégrader leur train de vie et à renforcer leur précarité. Et ceci, alors même que ces catégories subalternes contribuent par un travail rendu peu visible dans les outils statistiques, au développement des milieux d’accueil, notamment dans les secteurs tertiaire (commerce de proximité, transports, etc.) et primaire (agriculture saisonnière, pêche, etc.) des pays hôtes.

Cette situation affecte par effet d’entrainement la résilience des communautés d’origine, dont la survie est tributaire essentiellement des nombreux transferts monétaires et sociaux par lesquels ces travailleurs irriguent l’économie de leurs pays et localités de départ (Mali, Sénégal, Niger, etc.). Ces transferts consolident également les services sociaux de base en contexte de pénurie de l’Etat. La Banque mondiale prédit en 2020 une baisse de 20% des remises de fonds, 19,7% en direction des pays à revenus intermédiaires et 23,1% en Afrique subsaharienne. La typologie des sources d’émission des transferts de fonds des migrants en direction des pays de l’Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), rappelée par le rapport Bloomberg montre que 66,1% de ces flux financiers proviennent d’Europe, 57,7% de la zone Euro dont 24% en France et 23,9% en Italie. Il s’agit des pays les plus gravement atteints par la pandémie actuelle, avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

De plus, les envois des migrants dans la zone UEMOA représentaient en 2017 selon la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest 10% du PIB au Sénégal, 7,7% au Togo, 5,5% au Mali, 3,2% en Guinée Bissau, 2,9% au Burkina-Faso et 0,7% chacun au Bénin et au Niger pour les parts comptabilisées. Or, à la veille des fermetures de frontières en cascades, de nombreux travailleurs migrants sont retournés dans leurs pays ou villages d’origine (migrants légaux mais aussi sans-papiers rentrés d’Europe, diasporas régionales dans l’espace ouest-africain, migrants internes), constituant des charges supplémentaires pour des familles dont ils étaient jusque-là les principaux pourvoyeurs de ressources. Ceux qui sont restés en migration sont contraints à l’inactivité ou à une reconversion temporaire qui amenuise immanquablement leurs revenus et les fragilise davantage. Il est à craindre que l’effet stabilisateur traditionnel des transferts de fonds sur les ménages fasse défaut à moyen terme.

Si les modèles de gestion du coronavirus en Afrique de l’Ouest sont tout aussi divers que les mesures dites de confinement, celles-ci allant de l’absence de tout soutien social à la distribution d’aides alimentaires et à la subvention des factures d’électricité et d’eau, les travailleurs migrants restent en marge des volets sociaux des ‘plans de riposte’ ou mesures d’accompagnement en œuvre en Afrique de l’Ouest. Le tarissement de leurs ressources directes et l’affaiblissement de leurs capacités de remise de fonds impacteront durablement les économies de la région. En dehors de freiner la propagation du coronavirus et de préserver leur santé, les effets des restrictions des mobilités seront paradoxalement délétères sur la survie des travailleurs migrants, et plus généralement de l’ensemble des travailleurs des économies d’extraction caractéristiques de la région Afrique de l’Ouest.

Les verrouillages territoriaux et d’activités ne pourront pas durer en Afrique de l’Ouest. Il faudra, sans doute très vite, desserrer l’étau afin d’éviter une asphyxie d’économies structurellement fragiles et tirées par la productivité des couches les plus vulnérables. La crise sanitaire actuelle sera une opportunité si les Etats de la région transcendent les dilemmes de l’urgence, afin de repenser de manière intelligente et innovante la protection sociale des marginalisés de l’emploi et des plus vulnérables du secteur informel, concrétiser les besoins d’inclusion véritable des travailleurs migrants dans leurs pays d’accueil et faciliter les remises de fonds dans la sous-région. Et ceci d’autant plus qu’il est peu probable que cette crise soit la dernière, sur un continent régulièrement éprouvé par divers épisodes épidémiques (Ebola, Lassa, etc.), et qui verra les vulnérabilités renforcées par la pandémie actuelle.
 

Elieth Eyebiyi du Bénin est socio-anthropologue, spécialiste en gouvernance, migrations, mobilités et développement.


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