De nombreuses organisations de la société civile du Soudan exigent pour la future Mission des Nations Unies un mandat plus fort que le gouvernement militaire et civil.
La discussion à Khartoum, la capitale soudanaise, sur la question de savoir si le pays devrait accepter une nouvelle mission des Nations Unies (ONU) en vertu du chapitre VI du Conseil de Sécurité des Nations Unies, reflète les différentes réalités de ce pays de l'Afrique de l'Est.
La nouvelle mission de l’ONU remplacera l'actuelle mission de la MINUAD par ses 26 000 soldats au Darfour qui ont été déployés en 2007 en vertu du chapitre VII du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour protéger les civils dans la région du Darfour dans l’Ouest-Soudan en recourant à la force si cela est nécessaire. En raison de Covid-19, la décision concernant la mission de suivi a dû être reportée de mars à mai 2020.
Les différentes réalités se manifestent en deux groupes différents. D'une part, certains partisans de l'ancien régime soutiennent que le Soudan perdrait sa souveraineté s'il acceptait la nouvelle mission de l'ONU. En plus d'eux, certains extrémistes islamiques partagent le même point de vue. Des membres des deux groupes sont descendus dans la rue pendant la période de confinement pour demander de mettre fin à ce qu'ils ont appelé l'intervention de l'Occident et le nouveau colonialisme dans le pays. Une vidéo a également circulé sur les réseaux sociaux dans laquelle un groupe extrémiste portant le drapeau saoudien menaçait le Premier ministre Abdallah Hamdok d'être assassiné s'il laissait la mission internationale se poursuivre dans le pays.
D'un autre côté, un groupe d'une centaine d'organisations civiles, dont des journalistes et des représentants d'organisations non-gouvernementales, de groupes de défense des droits des femmes et des droits de l'homme et de personnes déplacées dans les zones historiquement marginalisées, ont signé une pétition demandant au Premier ministre de prolonger la mission actuelle et renforcer la MINUAD au titre du Chapitre VII et ne pas le remplacer par une mission plus légère selon le Chapitre VI, car cela ne « placerait plus la protection civile en tête de liste » ; citant de nombreux cas de violence contre des civils au Darfour, dans la partie ouest du pays.
« Dans un cône de silence, un conflit violent persiste au Darfour avec des camps entiers incendiés à nouveau. A El Geneina et à Jebel Marra, les affrontements communautaires sont devenus la norme. Certains groupes au Darfour continuent d'être déplacés ; plusieurs millions de personnes sont déjà piégées dans des camps qui deviennent moins sûrs et plus vulnérables aux attaques. Les femmes vivant dans des camps doivent encore marcher loin pour obtenir du bois de chauffe pour la cuisine, et qui se trouvent être violées et humiliées », lit la pétition, signée par 98 groupes, dont beaucoup opèrent au Darfour.
Depuis la chute de l'ancien président Omar-el-Béchir en avril de l'année dernière, les médias locaux au Darfour rapportent, presque chaque semaine, le viol de femmes et de filles par des milices arabes pour avoir quitté leurs camps de personnes déplacées ou pour être sorties pour aller chercher du bois ou de l'eau. Et des histoires de villages incendiés par les mêmes milices qui sont en coalition avec les Forces de Soutien Rapide (RSF) sous son commandant Mohamed Hamdan Dagalo, appelé Hemeti. Le RSF a été créé en 2013 pour combattre les groupes rebelles armés au Soudan et est issu de milices janjawids que des groupes de défense des droits humains accusent d'avoir commis des crimes de guerre. Hemeti est actuellement le chef adjoint du Conseil de Souveraineté au pouvoir au Soudan.
Le conflit au Darfour dure depuis 2003, lorsque les troupes gouvernementales et ses milices janjawids ont cherché à réprimer une insurrection de la population du Darfour luttant contre la marginalisation politique et économique. Le conflit a fait plus de 350 000 morts et fait fuir deux millions de personnes.
Mais il semble que les parties civile et militaire du gouvernement soient satisfaites d'une mission moins forte. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le Premier ministre Mohammed Hamdok a expliqué cette position : « Nous avons demandé à l'ONU de nous aider avec les questions de transition, y compris les programmes de paix, les problèmes des personnes dans les camps de réfugiés et de déplacés internes, et ce sont là des préoccupations assez importantes pour que nous ayons besoin des ressources de l'ONU pour nous aider à y faire face ».
Cela semble être en ligne avec le rapport, commandé par le Secrétaire général de l'ONU qui recommandait le 12 mars « la création d'une présence de soutien intégré politique et de consolidation de la paix, dont le siège est à Khartoum, avec la responsabilité sur tout le Soudan, en tenant compte de la demande exprimée par les autorités soudanaises ».
La partie militaire du gouvernement a également approuvé cette position sans l'exprimer explicitement. Mais ce que les RSF ont montré leurs véritables intentions, ayant déjà pris possession de douze sites des troupes de la MINUAD au Darfour, avant même que le Conseil de Sécurité ne se prononce sur le futur mandat de la mission des Nations Unies d'ici fin mai.
La crainte est maintenant que les personnes les plus vulnérables du Soudan ne perdent tout espoir d'obtenir une protection en raison de l'égoïsme des élites et de l'armée qui envoient une mauvaise image au reste du monde, ce qui ne reflète pas la réalité du pays.
Zeinab Mohammed Salih est une journaliste indépendante basée à Khartoum.