Le scientifique mozambicain Boaventura Monjane se prononce sur comment prévenir une « pandémie de la faim » induite par le Covid-19 en Afrique australe.
En avril 2020, le Directeur Exécutif du Programme Alimentaire Mondial, David Beasley a averti qu'en raison de la pandémie actuelle de Covid-19, le monde était au bord d'une pandémie de la faim qui pourrait entraîner plusieurs cas de famine au cours des prochains mois si aucune action immédiate n'est prise. Les experts craignent que le nombre de personnes confrontées à une faim aiguë dans le monde double d'ici la fin de 2020, en particulier en Afrique. La récession économique mondiale, du fait de la pandémie, combinée à la baisse des prix des produits de première nécessité et à la baisse des niveaux de l'aide internationale, laisse les pays confrontés à de grandes pénuries alimentaires.
En Afrique australe, les mesures visant à contenir la propagation du Covid-19 ont eu un impact négatif sur la distribution des aliments. De nombreux pays de la région dépendent des importations de produits alimentaires et souffrent de fermetures partielles des frontières et de la hausse des prix.
Mais non seulement les complications frontalières rendent l'accès à la nourriture plus difficile ; de nombreuses réglementations de prévention interdisent l'exercice d'activités économiques dans le secteur informel, qui garantissent normalement la distribution de nourriture, tout comme le commerce transfrontalier informel à petite échelle entre le Mozambique et l'Afrique du Sud, principalement pratiqué par les femmes commerçantes locales.
La répression contre les vendeurs de rue pendant le confinement a encore un impact négatif sur la sécurité alimentaire. Les forces de police de la région ont montré un niveau de violence inquiétant. Au Zimbabwe, la police a récemment signalé avoir tabassé et arrêté des vendeurs de rue, confisqué et détruit des légumes frais de petits agriculteurs qui vendaient sur un marché libre. Au Mozambique, un agent de police a été dénoncé sur les réseaux sociaux pour avoir giflé un vieil homme handicapé qui tentait de gagner sa vie dans la rue. Et en Afrique du Sud des informations inquiétantes sur des forces de sécurité tirant des balles en caoutchouc sur des personnes faisant la queue pour se procurer de vivres à l'extérieur d'un supermarché à Johannesburg ont révélé le vilain visage de l'autorité de l'État dans notre région.
Jusqu'à présent, la Communauté de Développement de l'Afrique Australe n'a pas été en mesure d'articuler une réponse régionale dans la lutte contre le Covid-19. Le géant régional, l'Afrique du Sud, est la seule économie dotée d'un secteur des entreprises, suffisamment grand pour mobiliser des contributions significatives à une réponse au Covid-19 ; bien que les organisations de la société civile sud-africaines aient exprimé des préoccupations quant au coût de ces dons. Le pays a déjà reçu, de différentes sources internes et internationales, environ 2,02 milliards de rands pour son fonds de solidarité (108 millions de dollars américains). Des pays comme le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe comptent principalement sur le financement des donateurs pendant la crise et sur la bonne volonté du Fonds Monétaire International.
En avril, les ministres africains des finances ont sollicité l’allégement de la dette des créanciers bilatéraux, multilatéraux et commerciaux afin d’améliorer leur situation budgétaire et de créer la marge de manœuvre budgétaire nécessaire aux gouvernements pour lutter contre la pandémie. L'annulation de la dette devrait être un instrument à considérer afin d'aider les pays d'Afrique australe à lutter contre le Covid-19. Mais seulement avec des mécanismes de contrôle qui garantissent que ces ressources sont réellement orientées vers les secteurs de la santé et de l'alimentation. En outre, une subvention universelle de revenu de base - financée par les pays occidentaux industrialisés pour compenser leur dette coloniale de longue date devrait être envisagée.
« Là où il n'y a pas d'Etat providence, les réseaux communautaires de solidarité ont toujours été au cœur des réponses africaines à la crise, en particulier lorsqu'il s'agit de distribuer de la nourriture et d'assurer la survie. Les confinements affaiblissent au moins en partie ces filets de sécurité en privant les individus à la fois de sources de revenus et d'opportunités de cautionnement », a récemment déclaré Elísio Macamo. Au lieu de réprimer les gens pour sortir de cette situation compliquée, les Etats devraient soutenir et promouvoir leurs actions de solidarité.
Pour éviter une pandémie de la faim dans la région, les Etats de l'Afrique australe devront revoir leur approche des réseaux de solidarité locaux et les moyens informels de faire face à la crise. Ils devront revoir leurs budgets et réorienter les ressources des opérations non prioritaires, telles que les voyages d'Etat, achat de véhicules, les allocations pour les fonctionnaires, entre autres, à la production alimentaire locale, en particulier des cultures à cycle de production court. Et dans une vision à long terme, les Etats devront élargir leur vision de la sécurité alimentaire à la souveraineté alimentaire, ce qui implique le soutien aux agriculteurs familiaux locaux et le droit des personnes à déterminer leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ainsi que leur droit de produire et de consommer sainement, et avec une alimentation culturellement appropriée, comme l'exigent les mouvements paysans comme « Via Campesina » depuis des décennies. L’heure du changement, c’est maintenant.
Boa Monjane est chercheur postdoctoral mozambicain à l'Institut d'Etudes sur la Pauvreté, les Terres et les Etats Agraires (PLAAS, UWC) et membre du Groupe International de Recherches sur l'Autoritarisme et les Contre-stratégies de la Fondation Rosa Luxemburg.