Covid-19 : envisager « l’Afrique d’après » d’un point de vue politique

Amadou Sadjo Barry appelle à un changement radical dans la politique africaine.

Westafrikanische Zentralbank in Benin

Image: of Salomon Djidjoho L'annulation de la dette favorisera-t-elle la transformation structurelle de l'Afrique ? La Banque centrale d'Afrique de l'Ouest à Cotonou, au Bénin.

L’annulation ou l’allègement de la dette est-il une solution pour relancer le développement de l’Afrique post-Covid-19 ?  Si cette question se pose, c’est parce que dans la grande majorité des pays africains l’État demeure captif des pratiques infra-institutionnelles qui empêchent de le constituer en un agent de justice. En effet, les institutions politiques et sociales ne sont pas organisées d’une manière qui leur permette de satisfaire aux besoins du développement humain, économique et social. Ainsi, en l’état actuel où l’État est amputé de sa dimension effective, il est difficile de voir comment l’argent que rendrait disponible l’annulation de la dette contribuera à relancer le développement de l’Afrique. Le risque étant même réel que, dans cette situation où l’État est lourdement affaibli par l’absence de mécanisme de contrôle et de surveillance du pouvoir, l’annulation de la dette ne se traduise par un renforcement des régimes autoritaires et injustes. Il importe donc par-delà les considérations de nature économique, de penser la relance du développement de l’Afrique post-Covid-19 en interrogeant les conditions politiques sans lesquelles l’idée même de développement se trouve condamnée à l’échec.

Pour que la crise sanitaire actuelle ne prenne pas en otage le développement du continent, il faudra que les solutions envisagées prennent en compte des préalables politiques qu’on ne trouve pas dans la majeure partie des pays africains. Quels sont ces préalables si importants ? C’est d’abord l’organisation de relations sociales dans le cadre d’une justice partagée par tous. C’est ensuite rendre autonome et indépendante la sphère publique seule capable de donner forme à l’idée de bien commun et d’une communauté d’hommes avec des intérêts convergents. Puis, c’est établir une relation contractuelle entre gouvernants et gouvernés.  Enfin, c’est une organisation et une pratique du pouvoir qui donnent du contenu aux institutions politiques et sociales.

Mises ensemble, toutes ces données vont en quelque sorte déterminer le champ politique dans lequel se mouvoir. Elles vont constituer un cadre pour un progrès économique et social. Autrement dit, pour que le développement soit possible, il faut une organisation politique qui soit capable de le penser et de le construire. C’est cette fondation politique de la vie commune et son incarnation dans un système de contraintes institutionnalisé qui peuvent consacrer l’avènement d’une société politique, où, concrètement, les questions de la justice sociale et de l’égalité politique peuvent être des préoccupations collectives. En dehors de cette réflexion sur la dimension politique, l’Afrique ne peut se donner les capacités institutionnelles pour amortir l’impact économique lié à la crise du Covid-19.

Aussi longtemps que le pouvoir politique sera informel empêchant l’ancrage d’institutions effectives, il sera vain d’en appeler à un plan Marshall ou à la réduction de la dette africaine. Il est à espérer que la crise du coronavirus soit l’occasion d’une transformation politique telle qu’elle conduise à rompre avec les pratiques du pouvoir nihilistes et incite les responsables politiques à investir dans les capacités génératives de la société. Sans quoi, toute l’aide internationale imaginable et l’annulation de la dette africaine n’auront aucun impact significatif sur la vie des populations.

Mais cette métamorphose des pratiques politiques ne sera possible qu’à la faveur d’une pensée afrocentriste qui s’interdira, le temps de prendre toute la mesure des responsabilités politiques, de penser l’Afrique dans son rapport au monde : renoncer momentanément à une pensée de l’Afrique-monde, au profit d’une pensée de l’Afrique sur l’Afrique par les Africains. Cet afrocentrisme devrait forcer les acteurs politiques à réaliser un travail de dégrisement dans lequel il conviendra de se défaire des manières d’être et de faire qui ont fini par faire de la dignité humaine une portion congrue sur les terres africaines.

Mais dégriser l’Afrique, ce sera penser l’Afrique au marteau, pour reprendre une fameuse expression nietzschéenne, ce qui veut dire démolir l’ontologie autoritaire et l’aide au développement qu’elle ne cesse d’enfanter. A cette condition et à cette condition seulement, qu’au-delà d’être à l’origine de la crise sanitaire, économique et financière qu’elle est aujourd’hui, la Covid-19 pourrait être plus qu’un évènement, mais l’avènement d’une « autre Afrique ».

Donc, si l’Afrique ne veut pas sortir grande perdante du monde de l’après Covid-19, la question de l’annulation de la dette ne devrait pas cristalliser les débats sur la relance du développement du continent. L’espoir étant que cette crise du coronavirus soit l’occasion, pour l’Afrique, de penser et de rendre effectives les conditions de sa souveraineté, et non de reconduire les dispositifs de sa sujétion à l’environnement international.


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