Le COVID-19 au Ghana : Faire reculer les acquis en matière de Droits de l’Homme

Le juriste ghanéen Justice Srem-Sai décrit comment la promulgation d'une législation d'urgence pourrait transformer les ”démocraties émergentes” en ”dictatures démocratiques”

Polizeipatrouille auf einem Markt in Ghana

Image: of FES Tout est sous contrôle : la police patrouille sur le marché

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde a fait des progrès considérables en limitant les pouvoirs des gouvernements sur l'individu. Ces acquis peuvent être observés à travers les développements dans le domaine des droits de l'homme. En particulier, l'individu a réalisé des progrès en ce qui concerne le droit à la libre circulation, le droit à la libre association, le droit à la liberté d'expression et le droit à la vie privée. Cependant, l'apparition de la pandémie du Covid-19 semble faire reculer ces acquis plutôt rapidement ; et, de ce fait, la création de ce qui peut être malencontreusement appelé « dictatures démocratiques ». Les effets de cette expansion des pouvoirs publics sur les individus ont de graves conséquences pour le monde en général, et pour les démocraties émergentes en particulier.

Le premier cas de Covid-19 au Ghana a été confirmé le 12 mars 2020. Trois jours plus tard, le Président annonçait un certain nombre de mesures renforcées pour endiguer la propagation de la maladie. Ces mesures comprennent des lois qui visent, ostensiblement, cinq objectifs clés : arrêter l'importation du virus ; endiguer sa propagation ; fournir des soins adéquats aux malades ; limiter l’impact du virus sur la vie sociale et économique ; et, servir d’inspiration pour l'expansion des capacités nationales du Ghana. La première législation à cet égard porte sur la promulgation de la nouvelle Loi sur l’Imposition sur les Restrictions (IRA). Le présent article examinera brièvement les effets de l'IRA sur les droits de l'individu.

L’IRA a été promulguée en vertu de l’article 21 de la Constitution du Ghana. L'article 21 protège un groupe de droits qui comprend le droit à la libre circulation, le droit à la liberté de réunion, le droit à la libre association, le droit à la libre expression, le droit à la libre information, le droit à la liberté de religion et le droit à la liberté académique. L'IRA, cependant, autorise le Président à suspendre ces droits. Même si l'IRA semble limiter la durée de la suspension des droits, une lecture plus critique de celle-ci révélerait qu'il n'y a pas de limite précise. Cette loi autorise le Président à proroger de six mois au maximum, toute suspension de droits. Toutefois, cela n'empêche pas le Président de commencer une nouvelle série de suspension des droits chaque fois qu'il le juge nécessaire. Ceci est particulièrement remarquable car l'IRA n'est pas spécifique au Covid-19 - c'est une loi générale qui peut être utilisée à tout moment. Enfin, l'IRA prévoit également des sanctions sévères (emprisonnement de quatre à dix ans) pour les personnes qui exercent l'un des droits suspendus contrairement aux décisions présidentielles.

L'IRA n'est pas exempte de graves questions constitutionnelles. Ces questions ont trait à la manière dont l’IRA ne tient pas compte du cadre constitutionnel de suspension des droits de l’homme en cas d’état d’urgence. Comme de nombreuses constitutions nationales, la Constitution du Ghana contient des dispositions qui réglementent la suspension des droits de l'homme en cas d'urgence. Ces dispositions d'urgence sont structurées sous une forme similaire aux dispositions d'urgence de la Convention Internationale Relative aux Droits Civils et Politiques (que le Ghana a ratifiée) et de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Comme dans le cadre de ces deux instruments internationaux des Droits de l'Homme, la première étape de la suspension des droits de l'homme (de la façon dont l'IRA autorise à le faire) est une déclaration officielle de l'état d'urgence. Cette déclaration, qui doit contenir la nature exacte et l'étendue des mesures que le Président a l'intention de prendre pour faire face à la situation d'urgence, doit être soumise au Parlement du Ghana pour approbation.

Si elle est approuvée, la Constitution exige que le Parlement continue de contrôler le Président dans la mise en œuvre des mesures, à chaque étape du processus. Par exemple, le Parlement peut adopter une résolution à tout moment pour mettre fin à la suspension ou raccourcir sa durée, même contre la volonté du Président. En outre, le pouvoir judiciaire est également habilité à tenir des audiences judiciaires spéciales pour examiner les mesures concernant les plaintes individuelles de violations des Droits de l'Homme.

Cependant, aucun de ces mécanismes de contrôle n'est disponible dans le cadre de l'IRA. Par exemple, le Parlement n'a aucun rôle à jouer pour déterminer la nécessité ou la proportionnalité des mesures que le Président impose en vertu de l'IRA. Il n'a également aucun rôle à jouer dans la décision de prorogation des suspensions. Par ailleurs, les tribunaux n'ont pas de pouvoirs spéciaux pour statuer sur les plaintes individuelles d'abus de droits pendant de telles suspensions. En conséquence, l'individu doit recourir aux procédures judiciaires régulières, ordinaires et chronophages en ces temps d'urgence extraordinaires.

L'intention de l’IRA peut être bien fondée. Cependant, l’exclusion très aisée de la magistrature et du Parlement du cadre de l’IRA rend la justice et la réparation en ces temps d’urgence tout à fait illusoires. Plus important encore, l'IRA laisse un schéma pour les violations non contrôlées des Droits de l'Homme dans les années à venir. Il annule les progrès réalisés par le Ghana en matière de Droits de l'Homme.
 

Le juriste Justice Srem-Sai est membre exécutif de l'Institut de Droit et des Affaires Publiques (ILPA), partenaire auprès d’Archbridge Solicitors et de Maitre de conférences en Droit Constitutionnel à l'Institut Ghanéen de Gestion et d’Administration Publique (GIMPA).   jsrem-sai(at)gimpa.edu.gh


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