Le coronavirus et le dilemme électoral

Nic Cheeseman, auteur de plusieurs livres sur la démocratie en Afrique, explique pourquoi le report des élections à cause du COVID-19 pourrait faire plus de mal que de bien.

Wahlkampagne in Burundi

Image: of Nitanga Tchandrou Des partisans du parti au pouvoir burundais, le CNDD-FDD, partagent un désinfectant pour les mains pendant la campagne électorale de printemps à Gitega, dans le centre du Burundi.

Le coronavirus qui fait ravage dans le monde a posé de nombreuses questions difficiles aux ministres et aux experts gouvernementaux. La plus connue de ces questions est peut-être de savoir si la manière la plus efficace et la plus juste de lutter contre le virus consiste à appliquer un confinement rigoureux.

Le coronavirus pose également des questions profondes sur nos démocraties, mais celles-ci ont reçu beaucoup moins d'attention. La question la plus urgente pour les pays africains qui devaient organiser des élections au cours des douze prochains mois est de savoir s’il faut faire passer la santé avant la démocratie. Pendant que par exemple le Burundi (en mai) et le Malawi (en juillet) avancent dans le processus, l'Ethiopie – entre autres - a décidé de les reporter.

Il y a clairement de bonnes raisons de les reporter. Mais il est difficile d'imaginer comment les rassemblements - qui sont un élément central des campagnes politiques dans la plupart des pays africains - peuvent avoir lieu dans un contexte de distanciation sociale. Le vote pourrait être possible, mais des mesures spéciales devraient être mises en œuvre pour éviter que les files d'attente ne deviennent trop longues. En partie pour ces raisons, le Conseil des Elections de New York a annulé l'élection primaire prévue du Parti Démocrate, pendant que le  Royaume-Uni de son côté a reporté les élections des conseils locaux.

Ceci pourrait faire que la décision paraîtrait comme une évidence, mais la réalité est beaucoup plus complexe car sacrifier la démocratie peut en fait rendre plus difficile le maintien de la stabilité politique et la mise en œuvre des politiques de santé. Au cours des quatre dernières années, j'ai dirigé un projet sur les manières de renforcer la démocratie dans le monde avec la Westminster Foundation for Democracy. Une grande partie de ce travail a porté sur la manière dont les élections peuvent créer - ou faire perdre - la légitimité d'un gouvernement. Il est bien connu que remporter une élection à une grande majorité peut donner au gouvernement le mandat de mettre en œuvre ses politiques. Mais il est aussi assez évident que les gouvernements accusés de  truquer les élections sont moins susceptibles de profiter de ce rebond de lune de miel.

Ces réalités sont d'une importance capitale pour les trois pays choisis ici en raison des élections de cette année. Au Burundi et au Malawi, les gouvernements doivent restaurer leur légitimité à la suite d'une série de controverses politiques, tandis qu'en Ethiopie, le Premier ministre Abiy Ahmed doit organiser des élections de bonne qualité pour démontrer qu'il peut tenir son programme de réforme déjà défaillant. Le fait de ne pas tenir d'élections est donc dangereux, parce que ceci peut potentiellement déclencher l'instabilité et rendre plus difficile pour le gouvernement de mettre en œuvre des politiques clés sur le coronavirus et au-delà.

Prenons l’exemple du Malawi, un pays qui doit organiser une « nouvelle » élection présidentielle après que la victoire du Président Peter Mutharika en 2019 ait été  annulée par la Cour constitutionnelle. L'épisode - ainsi que de nouvelles accusations de recul démocratique - a sapé la confiance de l'opposition dans le gouvernement et la commission électorale. Par contre, ceci permet d’expliquer pourquoi l'annonce d'un confinement prévu pour endiguer la propagation du coronavirus a été accueillie par des  manifestations dans la rue dans de nombreuses zones urbaines. En plus de craindre qu'un confinement ne conduise à une faim et à une pauvreté intolérable, certains manifestants ont fait valoir que le gouvernement n'avait pas la légitimité d'imposer des restrictions strictes à la population. Il n'est donc pas surprenant que la Coalition des Défenseurs des Droits de l'Homme ait contesté la légalité de l'élection et, le 28 avril, a convaincu la  Haute Cour de la suspendre indéfiniment. Le Malawi pourrait donc ne pas être en mesure d'appliquer des mesures pour empêcher la propagation du coronavirus tant que son différend électoral de longue date n'est pas résolu.

Il n'est pas certain, bien sûr, que la tenue d'élections confère en fait une plus grande légitimité à un gouvernement. Les prochaines élections sont importantes pour l'Ethiopie, car le fait de ne pas les tenir frustrera les groupes d'opposition, et Abiy a déjà du mal à contenir  la violence et les manifestations au plan local. Pourtant, une élection précipitée avec un processus de mauvaise qualité peut raviver les tensions ethniques et régionales.

Ce genre de résultat controversé semble particulièrement probable au Burundi, où une “détérioration” de la situation des droits humains suggère que le gouvernement a l'intention d'intimider pour son retour au pouvoir. En effet, les sceptiques se demandent si l'une des raisons pour lesquelles le Président Pierre Nkurunziza est déterminé à tenir les élections est qu'il sera plus facile de s'en tirer avec des élections de mauvaise qualité pendant que l'attention de la communauté internationale se concentre sur la pandémie.

Où cela nous mène-t-il ? Les victoires électorales peuvent aider les gouvernements à légitimer des politiques restrictives et à éviter l'instabilité, mais seulement si elles sont considérées comme libres et équitables. Le report des élections peut être justifié par des raisons de santé, mais les reports peuvent causer autant de problèmes qu'ils en résolvent. Aller de l'avant avec les élections peut signifier un engagement impressionnant vis-à-vis de la démocratie, mais nous devons faire attention à ce que la pandémie ne soit pas manipulée pour faciliter des montages.


Nic Cheeseman (@fromagehomme) et professeur de démocatie à l'Université de Birmingham et directeur du projet Political Economy of Democracy Promotion, une collaboration avec la fondation Westminster Foundation for Democracy.


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