Confronter l'Histoire du grand Egalisateur : Perspectives féministes et Réponses à la Pandémie

La militante nigériane Charmaine Pereira présente les perspectives et les réponses féministes à la pandémie.

Frauen in Lagos

Image: of Ebunoluwa Akinbo Inégalités de genre : Distribution de nourriture à une femme âgée à Lagos, Nigeria.

La pandémie ne frappe pas tout le monde, comme cela a été souvent décrit au départ, de la même manière. La classe, le sexe, l'ethnie et la situation sociale ont un impact profond sur la façon dont nous vivons un confinement et combien nous sommes menacés par Covid-19. Charmaine Pereira, activiste féministe du Nigeria et présidente de la « Legislative Advocacy Coalition on Violence against Women (LACVAW) » parle de l'impact spécifique de la pandémie sur le genre et des réactions des féministes.

FES : Charmaine, vous avez fait partie d'une initiative qui exige de toute urgence d'inclure le genre dans la riposte du Nigeria au Covid-19. Pourquoi cela est-il si important ?

Charmaine Pereira: Il est important de reconnaître que les pandémies ont toujours exacerbé les inégalités existantes : inégalités de classe, de région, d'ethnie, d'accès aux ressources et du genre. Ce n'est pas une question à laquelle les décideurs politiques pensent ou dont ils sont généralement conscients, de sorte que les réponses politiques tendent à supposer que tout le monde serait affecté de la même manière. Les ripostes politiques à la pandémie qui ne tiennent pas compte du contexte et des réalités différents dans une société peuvent ne pas être efficaces et en fait nuire, provoquant de nombreux effets secondaires involontaires, comme nous le constatons actuellement avec les confinements dans différents pays africains.  

A partir de votre observation de la situation au Nigeria, comment les femmes sont-elles affectées par cette crise ?

Premièrement, nous devons reconnaître qu'il existe différentes catégories de femmes dans toutes les régions du pays qui peuvent être touchées différemment.

Les femmes sont au cœur des réponses de la société à la pandémie, et cela de différentes manières. Elles accomplissent souvent un travail essentiel qui n'est pas connu, au foyer et dans le secteur informel. Ce sont elles qui prennent soin des gens, qui doivent s’occuper d’eux lorsqu'ils tombent malades, et c’est celles qui mettent de la nourriture à la disposition de leur famille. L'obligation de rester à la maison et de pratiquer la distanciation sociale suppose qu'il y a de l’espace, que les gens peuvent se déplacer chez eux et travailler en ligne, ce qui évidemment n’est pas le cas dans de nombreuses familles de la classe ouvrière, et en particulier pas pour de nombreuses femmes de la classe ouvrière.

De nombreuses femmes doivent gagner leur vie au quotidien. Il peut s'agir de femmes paysannes, qui doivent acheminer leurs produits sur le marché, ou de vendeurs d'aliments vendant des légumes ou des aliments cuits. Mais avec le confinement, elles ne peuvent pas bouger et gagner leur vie.

Les femmes enceintes ne peuvent se rendre à l'hôpital soit à cause d'une mobilité réduite, soit parce que les hôpitaux sont très mal desservis. Au Nigeria, nous ne sommes pas (encore) au stade où ils sont dépassés par les cas de Covid-19, mais les hôpitaux publics ne fournissent généralement pas le meilleur service et les patients doivent payer à l'avance, ce que beaucoup ne peuvent pas se permettre. La situation avec le virus met encore plus de pression sur les prestataires de santé publique.

Il y a le cas des professionnel(le)s du sexe - pour la plupart des femmes - qui peuvent subir des violences supplémentaires de la part des clients, des prétendus clients ou des agents de la sécurité. La sécurité dans les rues, qui n'était pas très reluisante avant Covid-19, a tendance à empirer. Ensuite, il y a le problème des personnes déplacées à l'intérieur du pays, fuyant les menaces comme celles de Boko Haram dans le Nord-Est, ou les violents conflits fonciers. De nombreux migrants sont des femmes et des enfants. Ils vivent dans des établissements ou des camps informels, qui sont très vulnérables à la pandémie. Nous observons comment les conflits existants dans le pays sont maintenant exacerbés par ce nouveau problème.

Enfin, pour les femmes, rester à la maison ne signifie pas nécessairement rester en sécurité. De nombreuses relations entre partenaires intimes sont violentes et les femmes sont très souvent celles qui subissent cette violence. Donc, on ne peut pas simplement dire que c'est bien d'être confiné dans une maison - même s'il y a de l’espace - avec un partenaire qui abuse de vous régulièrement.

Comment les activistes féministes au Nigeria font-elles face à ces défis ?

De nombreuses militantes féministes sont engagées contre la violence basée sur le genre, dans la sensibilisation et l'organisation de la riposte au Covid-19.

Les organisations de femmes ont tenté de collecter des fonds pour continuer à soutenir les refuges où les femmes touchées peuvent trouver une protection et faire passer le message que la violence basée sur le genre n’est pas tolérée. Les médias traditionnels, la radio et la télévision sont également utilisés dans les langues locales, mais des « crieurs publics » et des chefs traditionnels sont également engagés pour diffuser les messages. De nombreuses organisations offrent leurs services tels que des conseils et des aides juridiques sans frais en ligne.

Des efforts sont également déployés pour mieux coordonner les initiatives existantes. Récemment, il y a eu une grande réunion en ligne d'organisations de femmes soutenues par le programme « Spotlight » des Nations Unies pour réfléchir sur la manière d'adapter les cadres existants dans la lutte contre la violence pour réagir contre le Covid-19. La note d’orientation intitulée « Intégrer le Genre dans la Réponse au COVID-19 du Nigeria » illustre le travail de plaidoyer en cours au Nigeria.

Quels impacts cette pandémie aura-t-elle selon vous sur les débats politiques ?

Je pense, Covid-19 l'a très clairement dit, que le système économique existant, qui met l'accent sur l'extraction des profits et des ressources naturelles, qui traite la nature comme si elle pourrait être pillée indéfiniment sans conséquences, est tout simplement destructeur.

Pour sortir de cette crise, il nous faut non seulement repenser notre réponse à la pandémie, mais aussi repenser le type de société à laquelle nous aspirons après la pandémie et le type d'arrangements que nous mettons en place pour organiser nos sociétés et nos économies, mettant les humains en premier, pas les avantages. Le ‘’peuple’’ n'est donc pas une masse homogène. Nous devons reconnaître toutes les différentes divisions qui fracturent nos sociétés sur le parcours. Donc, Covid-19 offre en fait une opportunité de réfléchir sérieusement aux priorités de tout gouvernement, économie ou société. Sans cet exercice de repenser et de reconstruire, nous sommes sur le point de nous retrouver à répéter les erreurs du passé. Nous n'avons pas le temps pour cela.


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