Le Maître de conférences sud-africain Asanda-Jonas Benya écrit sur les défis de l'éducation en ligne sous le COVID-19.
Le 23 mars, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa a déclaré l'état de catastrophe nationale et a décrété un confinement à l'échelle nationale en réponse à l'épidémie du coronavirus. Nos cours à l’Université ont été suspendus, les étudiants ont dû quitter les résidences et il a été recommandé au personnel de travailler à domicile et de réduire, annuler ou reporter tous les rassemblements non essentiels. Le pays étant confiné, l'enseignement et l'apprentissage en ligne ont été considérés comme la réponse à la pandémie. Le plus grand défi, cependant, était que la plupart des étudiants en Afrique du Sud n'ont pas accès à des ordinateurs personnels. Au mieux, ces ordinateurs sont partagés avec d'autres membres de la famille, ou les étudiants utilisent leurs appareils mobiles et lorsqu'ils sont sur le campus, ils utilisent des laboratoires informatiques.
Pour en ajouter à la difficulté d'accès aux appareils, il y avait les défis des services d’Internet peu fiables, des données mobiles coûteuses et la fourniture irrégulière de l’électricité. Ces problèmes sont tous très courants dans les communautés de la classe ouvrière, certains devant se retrouver sans électricité pendant des jours, voire des semaines. Le passage à l’Internet signifie que les étudiants devront effectuer des travaux complexes dans ces conditions et sur leur téléphone portable. Les étudiants nous ont aussi rappelé qu'ils viennent et vivent dans des maisons surpeuplées, où il n'y a pas d'espace pour la distanciation sociale, sans parler de la lecture et de la pensée concentrées. Les étudiantes, en particulier, ont également noté qu'elles devaient prendre soin de leurs frères et sœurs plus jeunes, de leurs grands-parents âgés et de leurs proches présentant des comorbidités. Cela s'est aussi produit dans le contexte de réductions massives dues au confinement, aux pertes d’emplois rémunérés, à la pénurie alimentaire croissante et à la violence sexiste. Etant donné que certaines maisons n'étaient pas des espaces viables ni équipées pour l'apprentissage en ligne, de nombreux étudiants ont demandé à être autorisés à retourner sur le campus, où la sécurité, la nourriture, l'électricité, l’internet et l'infrastructure d'apprentissage sont disponibles.
Ce ne sont pas seulement les étudiants qui ont anticipé et sont confrontés à des difficultés, les membres du personnel aussi. Les enseignants n'étaient pas bien équipés pour migrer vers le numérique. La plupart d'entre nous avons été formés en moins d'une semaine pour migrer vers des plates-formes en ligne, donc beaucoup déposaient simplement du matériel en ligne et n'enseignaient pas. Certaines institutions, malgré leur connexion en ligne, éprouvaient des difficultés. Certains n'avaient même pas de photocopieuses fonctionnelles, et encore moins d'infrastructures pour déployer, héberger et suivre l'éducation en ligne. En tant que tel, très peu d'apprentissage réel a pu se produire. Il me semble que nous sommes simplement en train d’accomplir des tâches afin de cocher des cases et d'apaiser nos craintes de « perdre l'année ».
Ce que nos institutions n'ont pas fait dans leur hâte de déployer l’apprentissage en ligne, c'est de penser sérieusement à d'autres alternatives proposées par différentes parties prenantes. Par exemple, le Black Academic Caucus de l'Université du Cap a conçu cinq scénarios sur la façon de continuer à apprendre sans être embourbé ou limité par une année universitaire. Les propositions ont tenu compte des réalités nationales et se sont concentrées sur l'éducation sociale et éthique qui aurait tout le monde à bord, pas seulement les privilégiés. Les scénarios comprenaient un remaniement de l'année universitaire, une refonte du programme d'études, des évaluations, une pondération du calendrier de douze mois avec lequel nous travaillons habituellement et la proposition de plans de deux ans qui faciliteraient l'apprentissage et l'obtention du diplôme. D'autres scénarios comprenaient la réduction des semestres au moment où les étudiants peuvent retourner en toute sécurité sur le campus. Un autre groupe d'universitaires de plusieurs institutions à travers le pays a proposé ce qu'ils ont appelé la « pédagogie sociale », qui reconnaît qu'un apprentissage différent et précieux peut se produire dans les communautés et met l'accent sur la valeur de cet apprentissage et la nécessité de l'intégrer dans nos programmes universitaires.
Au lieu de prendre en compte ces scénarios et propositions, nos institutions d’éducation et la Direction Nationale de l’Enseignement Supérieur ont choisi la solution facile, celle qui fait de nombreuses victimes. Ils ont continué avec une éducation à distance d'urgence en ligne, les étudiants ont dû emprunter des ordinateurs portables – à des conditions strictes et prohibitives - et ont reçu des données limitées pour accéder à certains sites d'apprentissage et à certains fournisseurs de réseau avec un accès à taux zéro à certaines plateformes d'apprentissage universitaires. Bien que ceux-ci aient permis de résoudre les problèmes d'accès, ils n'ont en aucun cas assuré un apprentissage inclusif et équitable. Pour nos étudiants, aplatir la courbe de la Covid-19 signifie naviguer sur une courbe d'inégalité socio-économique qui s'intensifie de manière agressive dans l'enseignement supérieur.
Alors que ce trimestre d'enseignement touche à sa fin, certains établissements d'enseignement supérieur célébrant l’effectivité de leur apprentissage en ligne, des questions cruciales peuvent être posées pour savoir si un apprentissage sérieux peut avoir lieu dans le cadre de l'enseignement à distance. Il semble que non.
Asanda-Jonas Benya est Maître Principal de conférences au Département de Sociologie de l'Université du Cap, Afrique du Sud.