La COVID-19 et la Photographie Africaine : « Nous devons nous approprier nos Histoires »

Le photographe Nana Kofi Acquah soutient que la libération de l’Afrique appartient à la presse - mais seulement si les journalistes africains cessent d’être des marionnettes.

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Image: of Nana Kofi Acquah Un acheteur portant un masque au supermarché Game à Accra.

FES: Vous avez été interviewé sur « L'éthique de l'imagerie de la pandémie » le 1er avril de cette année après avoir publié votre désormais célèbre article sur Instagram. Pour les personnes qui ne connaissent pas encore ce discours, pourriez-vous résumer brièvement votre position ?

Nana Kofi Acquah (NKA) : Je lisais les nouvelles de la BBC quand j'ai vu un article sur l'Italie ayant perdu environ 3000 personnes à cause de la Covid-19 à l'époque. J'ai été choqué par la nouvelle. Je savais qu'ils rencontraient des difficultés, mais je ne m'attendais pas à entendre autant de morts, surtout lorsque les histoires les plus tendancieuses provenance d'Italie portaient sur des gens qui faisaient des sopranos ou jouant du violon ou qui tombaient amoureux sur leurs balcons. En tant que personne qui avait couvert Ebola et qui traitait encore certaines des images choquantes publiées à travers le monde de cette crise, je ne pouvais pas laisser passer l'hypocrisie, le journalisme bâclé et la censure excessive des médias dans l'Italie démocratique. Beaucoup de photojournalistes qui avaient couvert Ebola, et les organisations pour lesquelles ils travaillent, viennent pour la plupart d'Europe et d'Amérique, et de penser qu'une nation européenne a perdu 3000 personnes et qu'il n'y avait pas de photos - surtout pas graphiques - qui capturent l'énormité de la pandémie était assez révélateur.

Quel rôle voyez-vous la photographie jouer dans l'évolution des relations entre l'Afrique et le reste du monde, maintenant en temps de la Covid-19 et au-delà ?

NKA : L'Afrique est victime de la mauvaise presse, et la libération de l'Afrique repose sur la presse. Dans le cadre de la rhétorique coloniale pour justifier l'exploitation du continent, la caméra était devenue l'arme ultime de choix pour les colonialistes. L’attitude selon laquelle les journalistes occidentaux contournent toutes les histoires positives du continent et constatent qu’un enfant malnutri harcelé par les mouches ordinaires n’a pas commencé aujourd’hui. Au fil du temps, la représentation négative constante a été un fardeau pour l’Africain avec le poids de devoir constamment prouver que nous sommes aussi humains et aussi capables que tout le monde. Ce que la Covid-19 a révélé, c'est que les photojournalistes occidentaux sont réellement capables de photographier des pandémies et de souffrir avec empathie et de respect pour les victimes. La plupart d’entre eux étant dans l’impossibilité d’accéder au continent, les photographes africains sont désormais au premier plan pour raconter les cas relatifs à l’Afrique et la différence dans la façon dont ils nous photographient et comment nous nous photographions est comme le jour et la nuit. Espérons que, lorsque cette pandémie sera terminée, nous aurons un monde où les images les plus dominantes en provenance d'Afrique seront celles faites par des Africains, et les photographes occidentaux seront tenus aux mêmes normes du décor et d'empathie, avec lesquelles ils ont photographié la Covid-19 dans leurs pays respectifs.

Pensez-vous que la pandémie a changé la relation du Nord mondial à la représentation de la tragédie ? Quelles leçons peuvent-ils tirer du débat en cours en Afrique sur la façon dont les médias décrivent la souffrance des autres ?

NKA : En tant que personne qui s'est toujours battue pour la liberté de la presse et son accès, ces mots me semblent bien drôles sortant de ma bouche, mais l'Afrique doit limiter l'accès qu'elle accorde aux photojournalistes occidentaux. Surtout ceux qui ont opté de ne voir que le fatalisme sur ce beau continent. Au moment où nous parlons, la police américaine tire dans les yeux des photojournalistes, refusant de leur permettre de photographier librement les émeutes et les manifestations relatives au meurtre inutile des Noirs. Lorsque j'ai fait mon post original en me demandant pourquoi aucune photo ne sortait d'Italie, de nombreux collègues m'ont contacté pour me faire savoir que le gouvernement italien ne leur donnait pas accès. Je pense que les pays africains doivent apprendre de l'Italie et de l'Amérique, notamment en ce qui concerne l'accès accordé à la presse étrangère. Ce que la pandémie a révélé, c'est que les Blancs n'aiment pas voir les cadavres de Blancs profanés. Ils continuent de manifester de la dignité, même pour leurs morts. Pourquoi les Africains méritent-ils moins ? Exultent-ils face à nos souffrances ?

Les restrictions sur les voyages internationaux auront-elles un effet durable sur la représentation de l'Afrique dans le monde ? Les éminents photographes européens et américains ne pouvant pas voyager en Afrique, est-ce une bonne nouvelle pour la profession ici sur le continent ?

NKA : Tant que les maisons des médias sont disposées à recruter des photographes africains et à leur verser le même montant qu'ils paient aux photographes européens et américains, l'interdiction de voyager est une bonne nouvelle, bien que je ne sache combien de photographes africains obtiennent de bonnes payes sur ce plan. Le plus grand défi auquel sont confrontés les photographes africains, n'a rien à voir avec l'Occident. Le plus grand défi que nous avons est qu'il y a très peu de consommation locale de bonnes photographies africaines. Combien de média-câblés, d'agences et d'organisations qui envoient en mission des photographes sont basés en Afrique, appartiennent à des Africains ou sont intéressés par l'Afrique. Au moment où nous parlons, il n'y a pas d'alternative africaine face à Getty Images, au New York Times ou à Reuters. Si nous pouvons changer cela, le monde cessera de voir l'Afrique à travers les yeux occidentaux. Nous devons nous approprier nos histoires.

Récemment, nous avons vu de nombreuses organisations et des particuliers faire campagne pour embaucher plus de photographes noirs. Pensez-vous que le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis et au-delà entraînera un changement durable vers une plus grande diversité d’opinions dans les rédactions et les médias ?

NKA : L’intolérance raciale me dégoûte. J'ai reçu un courriel d'une de ces organisations me proposant un montant de 1000 $ pour réaliser une mission pour eux dans le cadre de leur soutien à ‘’Black Lives Matter’’. Dans le courriel, ils ont eu l'audace de me dire qu'ils sont une organisation d’appartenance entièrement blanche, qu’ils n'avaient pas besoin des photos, mais qu’ils voulaient juste donner environ 10 000 $ aux photographes noirs. Maintenant, pourquoi est-ce que je vais prendre des photos pour quelqu'un qui n'a pas besoin de ces photos ? Je ne pensais pas que leur courriel méritait même ma reconnaissance, donc je n'ai pas répondu. Je pense que c’est une bonne idée qu’un plus grand nombre de personnes noires et de couleur prennent place dans les salles de rédaction et dans les médias, mais la prochaine étape consiste à devenir propriétaire des médias. C’est celui qui paie qui prend les décisions. Lorsque vous travaillez dans les médias depuis longtemps, vous finissez par comprendre que la salle de rédaction est composée de marionnettes très intelligentes qui s’en sortent souvent, mais lorsque cela compte vraiment, le marionnettiste se présente. Nous devons devenir des marionnettistes, pas seulement des marionnettes intelligentes et perspicaces. 


Nana Kofi Acquah, qui est un contributeur à Everyday Africa, photographie, filme et écrit à travers l'Afrique pour des clients tels que Oxfam GB, The Global Fund, Americares, Nike, BBC, The Financial Times, BASF, Novartis Foundation, ActionAid, WaterAid, Facebook, Hershey, la BAD et la Standard Bank. Nana est également photographe de mission pour Getty Images et a été membre du jury du Concours Mondial de Photographie de Presse 2019. Son compte Instagram a été répertorié par Shutterstock comme l'un des 100 meilleurs à suivre. Suivez Nana sur Instagram.

L'entretien a été réalisé pour la FES par Anna Kucma, fondatrice et directrice de Uganda Press Photo Award, partenaire du bureau de FES-Uganda.


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