Les journalistes africains dans la pandémie

Le journaliste Gabriel Baglo décrit comment la suppression de la liberté de la presse et de l'information pendant l'époque de la Covid-19 conduit même à une infodémie.

Tageszeitschrift Lagos

Image: of Ebunoluwa Akinbo Lire les nouvelles - de plus en plus difficiles à produire - pendant le confinement à Lagos, au Nigeria.

Engagés dans la riposte contre la Covid-19 pour informer juste, les journalistes et médias font face à des entraves qui ont plutôt favorisé la désinformation.

Les confinements assortis des couvre-feux n’ont pas facilité le travail des journalistes dans leurs efforts pour informer sur la Covid-19. Ils font face à des entraves à la liberté de la presse et à l’accès à l’information. Cette situation se poursuit malgré les déconfinements en cours.

Les forces de sécurité et des militaires déployés pour exécuter et faire appliquer les mesures du confinement et du couvre-feu ont commis des voies de fait, des bavures et harcèlements sur des journalistes dans plusieurs pays, selon des rapports des organisations de défense des droits des journalistes.

Au Ghana, au Nigéria les forces de l’ordre ont harcelé, violenté, ou détenu des journalistes et des agents de santé pendant le confinement et le couvre-feu, malgré le fait qu’ils se sont identifiés correctement Il a fallu des protestations des organisations professionnelles et de la société civile pour que le gouvernement prenne des mesures pour limiter ces violences policières et arrestations.

En Sierra Leone, en Somalie des journalistes dirigeant des publications ayant émis des critiques sur la gestion de la pandémie ont été arrêtés, emprisonnés.

Au Zimbabwe deux journalistes, Franck Chikowore et Samuel Takawira, ont été arrêtés le 22 mai dernier pour avoir violé les mesures du couvre-feu. Deux autres journalistes, Leopold Munhende et Munashe Chokodza qui rentraient du travail le 24 juin dernier ont été arrêtés, torturés, battus, matraqués et blessés par des policiers en faction, malgré le fait qu’ils ont présenté leur carte de presse. Plusieurs autres journalistes ont reçu ce même type de traitement dans le pays pour les mêmes raisons, sans la réaction du gouvernement. Or les journalistes et autres professionnels des médias sont classés parmi les services essentiels en vue de d’informer et de communiquer pour la prévention contre la Covid-19.  

Les mesures du confinement et la répression policière constatées ont contraint plusieurs médias à réplanifier et réorganiser les programmes et émissions. Plusieurs journalistes travaillent à distance : télétravail. Ils se rendent à la rédaction ou sur le terrain de façon limitative. Les invités, les interviewés et les sources d’informations sont connectés ou contactés à distance. Plusieurs programmes et émissions sont réalisées par visio-conférence.

L’accès à l’information crédible reste un défi majeur surtout dans les pays où il n’y a pas de législation ni de pratiques favorables à l’accès à l’information. Les reporters ont des difficultés d’accès aux centres de prise en charge des personnes malades ou en quarantaine. Ces centres sont généralement inaccessibles, verrouillés, fermés aux journalistes. Mis à part les points de presse et les communiqués de presse officiels, les journalistes n’ont pas accès aisé aux informations sanitaires.

Il faut aussi noter les ratés. L’un des premiers décès de la Covid-19 annoncés sur les réseaux sociaux le 27 mars dernier au Togo était un journaliste revenu d’une mission. Les images du journaliste lors de ses derniers moments diffusées sur les réseaux sociaux ont créé l’émoi dans le pays. Aucune information officielle n’a été donnée pour clarifier ce cas. Mais depuis cet incident, l’accès au centre de prise en charge dans la capitale Lomé a été rendu difficile aux médias traditionnels. Les informations du ministère sont régulièrement publiées sur le site officiel du gouvernement dont un comité de riposte mis en place donne une conférence de presse hebdomadaire chaque mercredi.

Les sources fiables sont difficiles à identifier, à mobiliser et à convaincre à s’exprimer sur les médias, en vue d’expliquer le développement de la pandémie. Compte tenu du caractère évolutif et changeant de la pandémie, des personnes ressources refusent ou hésitent à donner des informations sans autorisation officielle des supérieurs hiérarchiques. D’autres encore refusent ou hésitent à s’exprimer sur les médias malgré leur liberté d’expression. Cela étant, il y a parfois des fuites ou des alertes de certains malades sur les réseaux sociaux qui sont repris par les médias traditionnels, avec des risques de désinformation.

Dans la plupart des pays, les autorités ministérielles et sanitaires ne communiquent pas assez. Les journalistes n’ont accès qu’aux communiqués de presse, ou informations postées sur le site-web officiel. Les informations restent très officielles et il faut attendre l’autorité pour y accéder, sans possibilité de poser de questions. Néanmoins on peut également citer des pays comme le Nigéria où la task force présidentielle tient une conférence de presse quotidienne où les journalistes peuvent poser toutes les questions possibles.

Dans cette ambiance tendue, voire obscure, les services médicaux découvrent la maladie au quotidien. Les services de sécurité mobilisés exécutent et font appliquer les mesures barrières, accompagnées de répression. Au sein des populations, les rumeurs, les fausses informations et la désinformation sur les remèdes, médicaments et décoctions traditionnels continuent de foisonner de bouche à oreille et sur les réseaux sociaux. Ainsi, et comme résultat logique de ce manque de transparence de l’Etat, continue de se développer une autre pandémie de la désinformation : l’infodémie.


Gabriel Baglo est journaliste, expert et consultant en communication et développement des médias.


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