Un nouveau paradigme socio-économique en Afrique pour faire face à la pandémie et ses impacts

Reckya Madougou du Bénin plaide pour un nouveau paradigme socio-économique en Afrique.

Beninischer Schweißer bei der Arbeit

Image: of Jasmin Hartmann, FES L'économie informelle fournit trois quarts de tous les emplois en Afrique. Un soudeur béninois dans son petit atelier.

La pandémie faisant le lit à une traversée de risques liés à notre modèle économique et amplifiés par un capitalisme financiarisé nous rend extrêmement vulnérables à la finitude de l’ordre établi. Cela impose l’organisation d’une riposte multidimensionnelle continentale et une mutualisation des efforts. Il est très probable que la croissance en Afrique subsaharienne devrait se contracter fortement en 2020, passant de 2,4% en 2019 à -5,1 % en 2020, plongeant la région dans sa première récession depuis plus de 25 ans. L’Union Africaine et l’Organisation des Nations Unies annoncent respectivement 20 millions et 50 millions d’emplois menacés de destruction en Afrique du fait de la crise économique. Face à ces perspectives angoissantes, comment l’Afrique pourrait-elle éviter une dégradation drastique de son économie ? Parce que nous nous dirigeons vers un krach plus important que celui de 2008, les économies africaines gagneraient à très vite élaborer des politiques publiques opportunes, voire opportunistes aux plans sous-régional, régional et global afin de tirer profit de la mobilisation internationale de ressources qui est lancée, tant il est vrai que toute crise porte en son sein les germes d’un bon qualitatif.

A court terme, il est urgent de protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables. Créer un cadre spécial de mécanismes de résilience. Il s’agirait d’envisager la généralisation bien organisée des banques alimentaires à laquelle il faut associer des directives sanitaires et d’hygiène, des mesures économiques incitatives de reports d’impôts, de subventions salariales surtout dans les entreprises de grande utilité, etc. De même qu’un ajustement provisoire des échéances et garanties de crédit et des modalités des prêts en général.

A moyen terme, pour limiter les conséquences de cette récession, nos Etats doivent déconstruire les modèles actuels de « capitalisme sauvage », source d’inégalités et d’instabilité croissantes, pour embrasser les fondamentaux d’une économie de marché orientée vers le capital humain et basée sur l’investissement social productif. Par exemple, près de la moitié des Kényans tirent leurs moyens de subsistance auprès de coopératives, où les recettes bénéficient directement aux acteurs producteurs. Le défi est d'œuvrer à construire une économie à la fois libérale et suffisamment régulée pour être solidaire. Une économie privilégiant les réponses aux enjeux de développement durable, fondée sur l’équité et sur la promotion des capacités d’initiative et d’innovation locales, endogènes ou adaptatives.

Se confiner et télétravailler sont des privilèges hors de portée pour 60% des actifs de la planète qui vivent des métiers précaires de l’économie informelle. Pour ces 2 milliards de travailleurs, le coronavirus constitue une catastrophe humanitaire avant même sanitaire. L’informalité représente jusqu’à 50% du PIB national dans la sous-région ouest-africaine. J’insisterai sur le secteur alimentaire informel parce qu’il contribue largement à la sécurité alimentaire. Sa contribution à l’emploi est de 72% des emplois non agricoles en Afrique subsaharienne selon l’Organisation Internationale du Travail. Il s’avère donc indispensable de les soutenir en leur offrant un statut légal spécial, des lignes de crédits, de mettre en place des mesures de crédit universel pour la relance et des emplacements adéquats dont l’infrastructure tient compte de la distanciation physique. Ce sont autant de politiques nouvelles et mesures qui peuvent être financées grâce aux divers fonds spéciaux en cours de mobilisation aux échelles nationales et mondiale pour conférer un caractère judicieux à leur usage.

Le moratoire sur la dette africaine devrait être conditionné - de concert avec les États bénéficiaires - à des mesures conjoncturelles et structurelles centrées sur la primauté du capital humain. Ce moratoire et peut-être l’annulation de la dette africaine si elle advenait, pourraient favoriser des ajustements budgétaires volontaristes dans le sens d’augmenter substantiellement les ressources allouées à la santé, l’éducation efficace, l’autonomisation économique et la protection sociale pour tous.

Aujourd’hui, l’enseignement et la formation techniques et professionnels sont les parents pauvres des systèmes éducatifs, accueillant autour de 2% d’une classe d’âge. Il importe de se rapprocher des acteurs économiques africains et de mettre l’accent sur l’apprentissage dual.  Outre l’allègement de la dette, les banques multilatérales de développement ont annoncé leur intention de fournir 160 milliards de dollars de financements aux pays pauvres. Ces ressources doivent être dirigées vers les petites et moyennes entreprises et industries (PME/PMI) et les microentreprises qui constituent 90 % des unités commerciales en Afrique.

Au demeurant, cinq principaux axes sont à privilégier : (i) L’écologisation de l’économie grâce à la promotion du concept d’entrepreneuriat vert qui pourrait se traduire par des gains de productivité de 5% d’ici 2050, tout en faisant reculer la pauvreté qui touche quelque 400 millions de petits agriculteurs. (ii) L’entrepreneuriat des jeunes avec un accompagnement spécifique. (iii) L’entrepreneuriat social dont les modèles trouvent davantage leur pertinence en cette période et celle d’après la pandémie du covid-19. (iv) Le renforcement des microcrédits à travers un modèle de crédit universel et d’épargne rurale pour encourager l’entrepreneuriat féminin et les pauvres potentiellement actifs. Les inégalités de genre en Afrique représentent un manque à gagner de 316 milliards USD d’ici à 2025 pour le continent selon le rapport 2019 « Power of parity » de McKinsey. (v)  C’est également l’occasion pour nos Etats d’investir dans un « New Deal » pour l'Afrique rurale en procédant à des investissements directs pour répondre aux besoins des petits producteurs agricoles et des artisans, organisés dans des mécanismes de clusters, de garantie solidaire et de partage de risques au niveau des acteurs publics et privés des chaînes de valeur productives.

À long terme, nous devons utiliser les ressources disponibles pour diversifier les économies, investir dans la recherche et l’innovation pour nous industrialiser progressivement. Et ce, en réorientant les ressources des secteurs peu productifs, à faible impact positif sur le capital humain et dégradant l’environnement, vers les secteurs plus productifs, porteurs et de manière plus respectueuse de l’environnement.

Au total, la crise actuelle est révélatrice de l’une des contradictions désormais les plus profondes du modèle qui a cours quant à la valeur qu’il accorde à la vie humaine. La réussite des stratégies énergiques tournées vers l’humain et les territoires évoquées dans cet article est tributaire d’une décentralisation accrue qui appelle à la responsabilisation des collectivités locales dans un exercice transparent d’une démocratie locale participative où la gouvernance locale associe le secteur privé et les sociétés civiles. Le nouveau modèle de développement véritablement inclusif, équitable et pérenne à promouvoir est celui le plus susceptible d’allier productivité et bien-être général.
 

Reckya MADOUGOU, Béninoise, est expert international en inclusion financière et projets de développement. Elle a occupé les fonctions de Garde des sceaux, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme et de Ministre de la microfinance et de l’emploi des jeunes et des femmes au Bénin.


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